Publié à l’automne 1998
Le 3 décembre 1996, Y. Derai, directeur du Journal Tribune juive, recevait au siège de ce journal une cassette vidéo piégée : cette tentative d’attentat fut revendiquée par des personnes déclarant faire « partie de la grande nation arabe comme certains font partie de la grande nation juive » et être solidaires « du sort qui est fait à [leurs] frères palestiniens ». L’enquête de police déboucha sur une douzaine d’interpellations et sur plusieurs perquisitions chez des membres ou des proches du GUD [1]. Les résultats de cette enquête à prétexte permirent d’établir des liens financiers, idéologiques et matériels entre ce milieu et des pays arabes tels que la Syrie ou l’Irak, et confirmèrent les relations étroites qu’ils entretiennent avec certaines factions du Front national. Pour notre part, nous avons essayé d’en savoir plus, histoire que l’État n’ait pas le monopole de l’information.
Alors que la tentative d’attentat contre Tribune juive a lieu le même jour que celui perpétré dans le RER à Paris, ce n’est pas à la piste islamiste que s’intéressent les policiers. Au vu de l’objectif visé et du contenu du texte de revendication, les RG de la préfecture de police de Paris font le rapprochement avec une série d’affiches collées sur Paris entre janvier et juin 1996. L’une de ces affiches, signée par le GUD, met à l’honneur l’artificier du Hamas Yehia Ayache, tué par les services spéciaux israéliens ; une autre proclamant « Israël tue, ONU complice », sortie lors du massacre de Cana, est signée « Union et Défense des Victimes du Sionisme » ; une autre encore, « Et si l’abbé Pierre avait raison ? » porte la signature d’une « Union et Défense de la Liberté d’Expression ». Pour les RG il n’y a aucun doute, le GUD se cache derrière ces différentes signatures. C’est donc vers lui que s’oriente l’enquête, même si les certitudes policières sont bien faibles [2].
Honneur au chef !
À tout seigneur tout honneur, le premier à recevoir la « visite » de la brigade criminelle fut Frédéric Chatillon, ancien responsable du GUD. À son domicile de la rue du Renard dans le IVe arrondissement de Paris, la police trouve un calibre. Coup dur pour Chatillon qui aspire depuis quelque temps à une certaine respectabilité. En effet, en épousant Marie d’Herbais, il est devenu le gendre de la comtesse Katherine d’Herbais, qui, outre le fait d’être riche, est conseillère régionale FN et a longtemps été l’une des principales actionnaires avec son mari du journal Minute. Elle possède par ailleurs un château qui défraya la chronique en servant de décor au film X « Les Visiteuses », remake du film de J.-M. Poiré avec Tabata Cash en interprète star... Il faut ajouter à cela que Chatillon est maintenant le papa d’une charmante gamine dont le parrain n’est autre qu’un certain Jean-Marie Le Pen. Enfin, pour parfaire sa reconversion, il a créé une société en communication intitulée Riwal Communication (cf. infra). Bref, cette vilaine histoire avec la police risque de mettre à mal ses envies d’embourgoisement. Il finit par avouer que le flingue appartient à un autre membre du GUD, Antoine Roucheray (c’est pas bien de balancer un camarade, Frédéric...) qui est à son tour interpellé. La police se rend ensuite rue Pierre Demours (dans le XVIIe arrondissement) chez Thomas Lagane, lui aussi membre du GUD. Les inspecteurs trouvent chez lui quelques « souvenirs » rapportés de Croatie où il s’était rendu en compagnie de Chatillon.
Fidélité à la famille !
C’est au tour d’Axel Loustau, demeurant boulevard de Saint-Julien à Meudon (92), d’être l’objet de la curiosité policière. Cadre dans une banque, il fait partie d’une famille très connue à l’extrême droite : son père Fernand Loustau, mort en 1993, dirigeait une société de gardiennage, Normandy Sécurité, impliquée en février 1997 dans le « vidage » de la fromagerie Besnier à Isigny, occupée par des grévistes. À cette occasion, cet ancien officier du 3e REP avait fait appel à une trentaine d’anciens paras, membres comme lui de l’UNP (Union Nationale des Parachutistes). On retrouve Fernand Loustau comme actionnaire d’une société intitulée Veronica SA, qui offre la particularité d’avoir pour actionnaires le gratin de l’extrême droite française. Qu’on en juge :
• Anne Meaux, actuelle attachée à la communication d’Alain Madelin (après avoir été celle de Giscard, époque à laquelle elle gagna le surnom d’Eva Braun), est une ancienne militante d’Ordre nouveau et du PFN ;
• Gérald Penciolelli, actuel directeur de Minute, ancien d’Ordre nouveau et du PFN ; très proche de certains milieux patronaux et d’Alain Madelin ;
• Bernard Lehideux, permanent au Parti républicain, et dont la sœur Martine est vice-présidente du FN et responsable du Cercle national des Femmes d’Europe ;
• Jean-Pax Méfret, « le chanteur de l’Occident » ;
• Gérard Écorcheville, ancien d’Occident, du GUD, d’Ordre nouveau et du PFN, recyclé au RPR par Pasqua avant de finir au FN ;
• le « Prince noir » Henri de Bourbon.
Fernand Loustau est par ailleurs un vieil ami de Jean-Marie Le Pen, à qui il prêta des locaux en 1985 pour héberger la « radio libre » proche du FN, Radio Courtoisie. Il fut également l’un des actionnaires de National Hebdo. Sa société Normandy Sécurité (reprise par sa femme) assura le service d’ordre de plusieurs manifestations du FN, tandis que plusieurs militants d’extrême droite (dont certains du GUD) y furent embauchés. C’est maintenant son fils Axel qui a repris le flambeau. Membre du FNJ, il fut candidat frontiste aux dernières élections législatives dans la 10e circonscription des Hauts-de-Seine. À noter que la police interpella, en même temps qu’Axel, son frère et sa mère : quelle famille ! Ainsi, la nouvelle génération du GUD est dans le collimateur des flics [3]. Mais l’ancienne n’est pas oubliée pour autant : pour preuve, l’arrestation d’Alban Druet. La police fut moins chanceuse rue Singer (Paris XVIe), où, après avoir pénétré par effraction dans l’appartement de Gauthier Guillet, elle s’aperçut de l’absence de son propriétaire. Ce dernier, chef d’entreprise, se trouvait en effet à Vitrolles, où il était candidat en 7e position sur la liste de Mégret aux municipales. De quoi décevoir son grand frère Jean-Jacques Guillet, ex-député RPR, ancien d’Occident converti au gaullisme par les bons soins de Charles Pasqua dont il est un des proches. D’après Wotan, journal des CHS (démantelés depuis février de cette année avec l’arrestation d’Hervé Guttuso et de ses petits camarades), cet intérêt pour le GUD proviendrait des dénonciations de Bonnefoy, ancien responsable du GUD avant la reprise en main de celui-ci par Chatillon au début des années 1990. Cette collaboration avec la police daterait de longtemps et expliquerait la réapparition de Bonnefoy au sein du Parti national républicain, groupuscule soutenu en sous-main par les réseaux d’un ancien ministre de l’Intérieur...
Mains sales...
Après Chatillon lui-même et ses petits copains, c’est au tour de sa société, Riwal Communication, de connaître les délices de la perquisition. Créée en mars 1995 avec un capital de 100 000 francs, elle a pour principales activités le conseil en communication, le marketing direct, l’édition de livres et de revues et la vente par correspondance. Elle était à l’origine domiciliée 6 rue Saint-Bon (Paris IVe). Un an plus tard, la société a déménagé au 10 rue Laurent Pichat (Paris XVIe), son adresse actuelle. Le gérant de la société est Axel Loustau, avec pour associée Marie d’Herbais. Parmi les actionnaires de Rivoal on retrouve :
• Chatillon et sa femme Marie d’Herbais (260 parts à eux deux) ;
• Anne-Christine Delaunay, sœur de Chatillon, à qui il a vendu 260 parts en septembre 1996 (sur les 470 qu’il possédait auparavant) ;
• Axel Loustau (240 parts) ;
• Thomas Lagane (240 parts).
Entre autres productions, Riwal maquette la lettre d’informations d’Emmanuel RatierFaits & Documents ainsi que quelques numéros du journal municipal de Marignane. Par le biais des Éditions des Monts d’Arrée, créées en août 1995 et rattachées à Riwal Communication, Chatillon diffuse deux livres : le premier, Les Rats maudits [4], raconte l’histoire du GUD depuis sa création, le second décrit la république fasciste de Salo, créée par Mussolini vers la fin de la guerre. Le texte de présentation de ce livre a été rédigé pas un « expert » en la matière, l’ancien Waffen SS Christian de la Mazière, qui fut un temps directeur de publication duChoc du Mois [5]. À l’issue de cette opération, les policiers auraient saisi des armes à feu, des armes blanches, de la littérature antisémite, des manuels de fabrication d’explosifs. Mais, plus intéressant, nous avons découvert de notre côté que les fameuses affiches pro-Hamas et révisionnistes collées par le GUD ont été payées et fabriquées à Damas, avec l’autorisation du Ministre syrien de la Défense, le général Tlass. Les premiers contacts entre Chatillon et Tlass datent d’octobre 1994 : Frédéric Chatillon, lors d’un séjour à Damas, aurait rencontré le général pour discuter de l’aide que celui-ci pouvait apporter à son mouvement. À son retour en France, le leader du GUD fut interrogé par les services spéciaux français sur les raisons de ce voyage et sur ses contacts avec les autorités syriennes. Par ailleurs, en plus des affiches, Damas finance très largement l’édition par Chatillon et ses petits copains de textes révisionnistes qui sont ensuite traduits en arabe et diffusés au Moyen Orient : L’Holocauste au scanner de Jurgen Graf [6], Les Mythes fondateurs de la politique israëlienne de Garaudy, Critique de la Raison juive occidentale de David Warlet (cf. article sur Réfléchir & Agir aux pages suivantes)... Tous ces textes ayant pour particularité d’avoir été traduits par la même personne, Jawad Bashara, qui participa également à l’écriture du livre de Warlet (cf. infra).
... et tête Baas !
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la Syrie finance les activités de l’extrême droite française. Dans les années 1970, François Duprat, un des théoriciens du FN, avait reçu des fonds de pays arabes, dont la Syrie, pour la création de son comité de soutien à la Palestine ainsi que pour la diffusion des premiers écrits révisionnistes connus, comme la version française du livre de l’anglais Richard Harwood Did six million really die ?. Plus près de nous, lors des élections européennes de 1984, Rifaad El Assad, chef des services secrets syriens et frère du président Haffez El Assad, accorda une obole de 20 000 francs au FN via la candidature de Soraya Djebbours à ces élections. D’autres liens plus étroits semblent avoir été établi grâce à l’association Citoyen de France créée en décembre 1992. Cette association se donnait pour but de « réconcilier les Français et de lutter contre l’exclusion et la discrimination ». On trouvait à sa tête Sid Ahmed Yahiaoui, conseiller régional FN à l’époque (il a depuis démissionné). Au bureau de l’association on trouvait également :
• Pascal Gannat, ancien du PFN, conseiller régional FN, membre du cabinet de Jean-Marie Le Pen et connu pour être un de ses « nègres », chargé d’écrire ses discours ;
• Martin Pelletier, ancien journaliste au Quotidien de Paris, actuel rédacteur en chef de National Hebdo ;
• Adnan Azzam, né en Syrie, connu dans les milieux spécialisés pour être un proche des services secrets syriens, propriétaire en outre du restaurant Zenobie, à Paris, fréquenté par Rifaad El Assad, et où eurent lieu, dit-on, d’intéressantes rencontres entre ce dernier et des membres du FN...
Cet appel au monde arabe pour de vulgaires histoires d’argent devient d’ailleurs une habitude dans les milieux nationalistes et nationalistes-révolutionnaires français. La Lybie semble en effet un généreux donateur pour tous ceux qui courtisent son chef vénéré Mouammar El Khadafi. En témoigne la participation en septembre 1997 d’une délégation du Parti communautaire national-européen à la conférence annuelle organisée par le pouvoir lybien, le Camp de Jeunesse pour les Mouvements verts, pacifistes et alternatifs. Le PCN prend en cela la relève de Nouvclle Résistance et c’est d’ailleurs l’ancien responsable Ile-de-France de ce mouvement, Fabrice Beaur, qui emmenait les Français du PCN. M. El Khadafi a d’ailleurs des vertus de grand rassembleur puisqu’il est cité comme référence nationaliste-révolutionnaire par Christian Bouchet, à l’instar de Nasser ou de Peron. La descente de police dans les milieux gudards ou assimilés n’avait sans doute finalement pour seul but que de rappeler à tout ce petit monde que l’État français n’entend pas laisser se développer des contacts susceptibles de le gêner dans la difficile partie d’échecs qui se joue au Moyen-Orient. Mais certains ont l’habitude de jouer les pions malgré eux, tant il est vrai qu’un nationaliste est toujours prêt à avoir le petit doigt sur la couture...