C'est une chose que je n'ai jamais dite à personne, même si tout le monde le sait, ma mère l'ayant propagée de façon mal intentionnée il y a deux-trois ans, ayant même appelé des journalistes pour le leur dire -certains m'ont même contactée pour me dire que même s'ils ne partageaient pas mes idées, ils trouvaient cela moyen- dans un élan du coeur dont elle seule a le secret.
C'est une chose que je voulais dire, j'attendais de rencontrer une personne à qui je pourrais raconter ce terrible fardeau.
Ne rencontrant jamais personne capable de m'écouter, je me confie une fois de plus à ma page blanche, c'est elle qui permet toujours tous les réconforts.
Oui, je sais déjà, impudeur, narcissicisme, mythomanie, on m'a déjà tout dit.
Que m'importe, je ne respire pas en fonction de ce que disent, pensent, extrapolent les gens sur moi.
Je me moque royalement du regard des autres, et je crois que je l'ai prouvé toute ma vie, je n'aurais pas eu le parcours que j'ai si j'avais peur de mon ombre.
Je ne relativise pas du tout le sujet, je dis au contraire que le poids est trop lourd pour moi-même.
J'y pense réguièrement, mais aussitôt je jette un blanc, je forme un mur, je ne veux pas.
J'avais dix-neuf ans, je fréquentais un garçon depuis mes quinze ans, mon véritable premier amour avec lequel je suis restée près de huit ans.
A dix-neuf ans, je partais pour Londres dans le cadre de mes études, quinze jours après, je savais.
J'étais très mal, loin de tout, saturée de travail, seule.
J'ai prétexté un mal du pays, dans tous les cas, j'avais du mal à retenir longtemps des larmes.
De retour en France, j'ai appelé des religieuses en cherchant de l'aide dans l'annuaire.
Elles n'ont pu m'aider, elles m'ont seulement donné le numéro d'un médecin.
Je lui ai dit qui j'étais, il m'a dit qu'il fallait que j'en parle à mes parents.
J'ai eu beaucoup de mal et un soir, lors d'une de ses longues promenades que je faisais avec ma mère, je lui apprends que j'attends un bébé.
Elle connaissait ma relation depuis longtemps, en revanche, je n'avais jamais pris de moyen de contraception.
Je suis fille de médecin, j'ai un Bac D, nous avions étudié toute la Terminal le sujet de la procréation, je sais tous les bébés jusqu'aux prémices de la génétique, je ne peux pas dire que j'ai été prise au dépourvu.
Pourtant ...
J'appréhendais tellement sa réaction, qui fut glaciale, comme attendu, que je lui dis dans la foulée que je ne vais pas le garder.
Ma mère devrait me connaître, depuis toute petite, je pouponne, ma petite soeur, mon petit frère, mes petits cousins, j'achète dès que je peux de la layette pour mes poupées, que j'ai toujours eues et gardées dans ma chambre, et même un lit de bébé , ce qui exaspérait ma soeur et faisait se moquer mes copines, je gardais des bébés et des enfants tout le temps.
A dix-neuf ans, il était inconcevable que j'arrête mes études, en fait, je n'arrivais même pas à concevoir une vie différente en dehors des parents et des études, je n'avais jamais envisagé l'avenir, sauf une chose, devenir maman.
Sans autre discussion, ma mère a pris un rendez-vous pour une échographie.
On a vu quelque chose, j'ai bien vu cette forme.
Cette forme n'avait pas de forme, mais moi, j'ai vu mon bébé, je trouvais même bêtement des ressemblances, je le trouvais beau, et je pleure la nuit.
Tout se passe très vite.
J'en parle au papa, c'était un garçon très doux, un ange.
Mais là, il me dit : "Il est bien de moi j'espère".
Cela fait un choc.
Je suis restée quelques années ensuite encore avec lui, mais cela a marqué incontestablement une cassure.
Quelques années après il m'avait dit qu'il se sentait prêt à être papa, j'ai eu un sourire triste.
Dans cet espace très laid de la Rue Barla, tout était froid, aucune chaleur ni dans l'agencement des locaux ni dans le personnel.
Vous passez, vous n'êtes qu'un numéro.
Je pleurais, j'étais un problème, on a dit qu'il y avait un problème avec moi.
Une psychologue est venue me voir, je crois n'avoir jamais vu un sourire aussi faux, aussi méchant.
J'ai dit que je savais que c'était un bébé.
Elle m'a dit que j'allais voir, que ça allait vite passer, elle voulait que ça aille vite.
Le médecin est venu me voir, il était en colère : "Vous voulez le gardez ou pas."
J'avais pensé à ma mère, j'ai dit que non. On m'a endormie.
Je me souviens des femmes avec moi, une maman, très décontractée, avec ses trois autres enfants qui étaient venus la rechercher.
Une autre, assez âgée, sans doute mon âge aujourd'hui, mais déjà frippée, décolorée, froide, une sorcière à faire peur, les autres -nous devions être cinq- je ne m'en souviens plus, elles ne parlaient pas trop, j'étais la seule à être mal, on m'a séparée du groupe.
On ressort le lendemain.
Personne ne s'aperçoit de rien.
Chez moi, on n'a rien dit, on n'en a plus parlé.
Personne n'a jamais dit ce que j'attendais, personne ne m'a dit que ce n'était pas la fin du monde, qu'il y avait une autre voie, bien plus heureuse, personne ne m'a dit que cet enfant, je pouvais le garder, et peut-être même, qu'on allait m'aider.
Je ne veux pas me dédouaner, je savais parfaitement ce que je faisais, mais je n'ai jamais, à aucun moment, senti que j'avais le choix.
Quand je suis tombée enceinte de mon premier enfant, je travaillais à temps complet tout en poursuivant mes études, je m'étais inscrite pour passer une autre maîtrise, de Droit International, plus en rapport avec mon travail.
Je vivais dans mon appartement, j'étais à ma charge et autonome, mes parents s'étaient séparés l'année d'avant de façon impromptue, mes frères et soeurs étaient partis, je n'avais plus de famille.
Le papa et moi ne nous fréquentions que depuis trois mois.
Il habitait entre la Baule et Paris, et moi à Nice.
Autant dire que ce n'était pas vraiment prévu.
J'en avais averti le père par téléphone, nous ne nous voyions que rarement, il avait dit qu'on en reparlerait.
Lors d'une randonnée en montagne, un ami me fait remarquer que j'ai changé, et là, je lui ai dis tout de suite que j'attendais un bébé. Je n'avais même pas fait de test, je le savais.
Nous dormons tous dans les collines de la Madone des Fenestres.
Je n'ai pas peur, je me sens parfaitement bien, cet enfant, il peut arriver n'importe quoi, il sera toujours avec moi.
Cette équipe de randonneurs étaient composés de responsables du Front, le papa était à Paris, il militait au siège du Front, mais travaillait au Ministère de l'Agriculture.
Il m'appelle peu de temps après, furieux.
Il n'était pas content que je l'ai révélé.
J'étais moitié sereine moitié inquiète, j'ai dit que je voulais le garder mais qu'il n'était pas obligé d'en subir les conséquences.
Il m'a rappelée, nous nous sommes revus.
Nous avons vécu ainsi, lui au Nord, moi à Nice.
J'ai fini par démissionner de mon travail, et par le rejoindre à Paris, et nous avons eu trois autres enfants, magnifiques. Je pense avoir aimé le papa de tout mon soûl.
Ma mère, que j'appelais régulièrement, ne s'est jamais déplacée pour venir les voir, ni à leur naissance ni jamais, sauf une fois, elle se rendait chez ma soeur en Guadeloupe et avait besoin de garer sa voiture pendant le séjour, pour ne pas payer le parking de l'aéroport.