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La manipulation en Ukraine, c'est rigolo, et chez toi ? Ou, comment un chercheur vient corroborer ce que je dis depuis depuis le départ

DÉCRYPTAGE22/02/2014 à 10h35

Plongée dans les réseaux américains de la Manif pour tous

Claudine Frank


En perte de vitesse, l’organisation anti-mariage gay la plus importante des Etats-Unis s’intéresse au modèle français de la Manif pour tous. Sa stratégie repose entre autres sur la manipulation de minorités ethniques.


Capture d’écran de Brian Brown, président de NOM, à la Manif pour tous, janvier 2013 (NationForMarriage/YouTube)

Prof de lettres bilingue, homo converti bi, Américain élevé par une mère lesbienne (il le répète souvent), Robert Oscar Lopez apparaît parfois sur le siteNouvelles de Franceou sur les pages Facebook des Journées du retrait de l’école. Dans Les Manifs pour tous (LMPT), il est presque toujours présent.

Surfant sous le radar des médias français, Lopez est l’émissaire et le traducteur du National Organization for Marriage (NOM), la plus importante organisation anti-mariage gay des Etats-Unis. NOM se rattache à la France par un autre biais : la com’ sur Internet de NOM est gérée par OPUSfidelis – dont le PDG David Lejeune est membre du conseil de la Lejeune Foundation USA, branche américaine de la « traditionaliste et anti-avortement » Fondation Lejeune. EtLudovine de la Rochère, présidente LMPT, est chargée de communication chez Lejeune (France).

Des Américains séduits à la Manif pour Tous

L’AUTEUR
Claudine Frank est un chercheur franco-américain, diplômée de Harvard en littérature comparée et de l’Ecole de journalisme de Columbia ; elle a enseigné à Harvard, l’université de Chicago et à Barnard College, et travaille sur Georges Bataille et les années 30. Rue89

Ces liens vous paraissent obscurs ? Ils le sont, c’est normal. Obscurs sont toujours les réseaux, denses, créés par NOM en 2007 pour tenter d’influer – par des luttes acharnées, mais avec peu de succès – les lois des Etats et de la nation américaine.

Le site NOM exposed dévoile ainsi les liens existant entre NOM et, entre autres, le Witherspoon Institute aux recherches discrètes (dont un responsable expliquait : « Nous tentons d’influencer ce que pensent les gens »). Tous deux sont fondés parRobert P. George, archiconservateur prof de droit naturel à Princeton et le président de Witherspoon, Luis Tellez, est membre du conseil d’administration de NOM, et de l’Opus Dei.

NOM et Witherspoon sont proches de l’église mormone, des églises évangéliques, et des Knights of Columbus – gigantesque ordre fraternel catholique aux 17 milliards de dollars d’actifs [PDF].

Suite au triomphe en juin 2013 du mariage gay à la Cour suprême, NOM est en perte de vitesse sur le terrain législatif et financier – l’admet même une fan. D’où l’intérêt des « nomistes » pour le modèle français : celui-ci pourra-t-il relancer la machine ?

Lors de la manif parisienne de janvier 2013, le président de NOM, Brian Brown,est en extase. Après l’adoption de la loi Taubira, il s’unit avec le Collectif Famille mariage au sein d’une International Organization for Marriage (IOM).

Robert Oscar Lopez, l’agitateur anti-LGBT

Lopez, lui, joue l’entremetteur, sans trop afficher – en France – ses liens politiques.

ROBERT OSCAR LOPEZ À LA MANIF POUR TOUS

2 février 2014, Paris

Sous des allures de rigolo un tantinet à la traîne (lors de la manif du 2 février 2014, il évoque « le marxisme, les New Critics, l’épistémologie historique, le post-modernisme » et dit que son philosophe favori « c’est Michel Foucault ») il tient un blog d’extrême droite mais folklo, pro-enfants. Il réserve sa propagande Fox News radicale pour American Thinker et Public Discourse, publié par Witherspoon.

En 2011, il assimile ainsi Obama et son parti aux esclavagistes :

« Dans les années 1850, les républicains étaient le nouveau parti, tout comme le Tea Party est en quelque sorte un nouveau parti au sein d’un parti. Le Parti démocrate était détestable à l’époque, poussant le paternalisme et la démagogie jusqu’à défendre la plantation [exploitation agricole reposant sur l’esclavage, ndlr] comme étant le meilleur moyen de garantir la subsistance de la société ; tout comme de nos jours ils font passer paternalisme et la démagogie pour de la “justice sociale”. »

Esclavagistes, aussi, sont à le lire les parents homoparentaux :

« Si vous achetez un être humain, qu’est-ce sinon un écho de l’histoire malheureuse du monde de la servitude humaine. »

NOM CONTRE LA VIOLENCE
Le patron de NOM Brian Brown alancé un appel au calme, après le vote du 23 avril en France : « Nous exhortons tous les citoyens français à contacter leurs législateurs pour exprimer leur forte opposition à cette politique... Nous condamnons dans les termes les plus forts la violence par quiconque de chaque côté de ce débat. »

Lopez envisage la violence (les « anti-élite » dit-il, provoquent une « guerre mentale » qui « devra être réglée par des combats de rue ») maiscondamne ainsi la réaction policière dans les échauffourées parisiennes du 24 mars 2013 :

« Pire que la police Jim Crow brandissant chiens et tuyaux d’eau contre des enfants noirs dans les marches de Martin Luther King. »

Oscar Lopez est un agitateur anti-LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans). Il écrit :

« En remportant des “victoires” aux Etats-Unis, en Angleterre ou en France, les ligbitistes endossent ce que les tireurs appellent une “silhouette” : une forme visible qui en fait des cibles. »

Des cibles, pour ces « mouvements souterrains en Angleterre et en France » qu’il appelle de ses vœux.

A Bruxelles avec Frigide Barjot

Après son discours lors de la Manif pour tous du 2 février 2014 (voir la vidéo plus haut), Causeur relève qu’un « universitaire américain » hostile à la « théorie du genre », « n’a pas de mots assez durs pour ce qu’il présente “non pas comme une philosophie, mais comme une idéologie qui engendre la peur” ».

Pourtant, Lopez n’avait pas refusé de participer, le 21 mars 2013, à l’Atelier littéraire « The Gendered Body – The Violence of Rhetoric and Institutions », d’un colloque à Lille. Le soir-même, il rejoint sur scène Frigide Barjot, Camel Bechikh, Anne-Claude Girard et Xavier Bongibault (en fait, il revient avec Barjot d’un voyage à Bruxelles, où ils se sont adressés à des sympathisants et ont participé à la Semaine pour la vie au parlement européen).

Trois jours plus tard, le 24 mars 2013, il manifeste à Paris, puis le 26 mars à Washington D.C. où NOM applaudit ses va-et-vient. Christine Boutin et Frigide Barjot devaient l’y accompagner, mais la première était indisposée, et Barjot « a dû rester à Paris pour répondre aux communiqués de presse diabolisant son mouvement », dit-il.

Ce qu’un document interne a révélé

Les stratégies marketing de NOM furent révélées par la publication, en 2012, de documents internes confidentiels (2008-2009) :

  • pour restaurer « la moralité sexuelle traditionnelle dans la culture d’élite », faire appel à « une communauté mondiale d’intellectuels très reconnus » ;
  • pour combattre Hollywood, réunir « par-delà les frontières nationales une communauté d’artistes, athlètes, écrivains, reines de beauté et autres séduisantes élites non-cognitives » (Lopez est-il cognitif ou non cognitif ?) ;
  • sauvegarder « l’innocence » des enfants en bannissant la pédagogie sexuelle de l’école ;
  • rechercher l’émotion par de bonnes questions : « Qui vais-je blesser si j’abandonne le mariage ? » ;
  • « Engranger une documentation sur les victimes » : il s’agit de trouver des enfants de couples de même sexe et de recenser leurs soucis (Lopez étant comme une victime exemplaire de l’homoparentalité, incarnation de l’étude Regnerus subventionnée par Witherspoon, et discreditée aux Etats-Unis et en France).

La manipulation des minorités ethniques


« National Strategy for Winning the Marriage Battle » : la couverture du document confidentiel

Dans la mire de NOM, pour créer ce « mouvement global pour protéger le mariage », il y a la France, mais aussi la Russie, où Brown se rend avec cinq Français de l’extrême droite – Aymeric Chauprade, Fabrice Sorlin, Odile Téqui, François Legrier et Hugues Revel – pour contrecarrer en 2013 l’adoption d’enfants russes par des parents homos ou célibataires dans les pays pro-mariage gay.

La révélation-choc, machiavélique, découverte dans ces documents confidentiels, c’est le projet de manipuler des minorités ethniques contre le mariage gay et les homos :

  • encenser dans les médias ces Noirs qui s’opposeraient à ce que celui-ci soit assimilé à un droit civique ;
  • faire concourir « contre des partisans blancs du mariage gay » des candidats « démocrates noirs, jeunes et attrayants ».

NOM s’intéresse aussi beaucoup aux Latinos, en forte croissance démographique.

« Est-ce que leur assimilation à la culture anglo dominante incitera les Hispaniques à abandonner les valeurs familiales traditionnelles ? Nous devons interrompre leur processus d’assimilation en rendant le soutien pour le mariage un badge clé de l’identité latino – un symbole de la résistance à l’assimilation inappropriée. » (Le bisexuel Robert Oscar Lopez est marié.)

On retrouve des échos de ces stratégies dans les ponts qui sont lancés entre LMPT et une partie de la communauté musulmane de France...

A l’écoute des musulmans anti

Maintenant, c’est peut-être la France socialiste, révolutionnaire, chic et « cool » et ouverte à l’Europe qui doit faciliter une mue de NOM, dans le genre printemps français, « French Spring ».

Sur la question du mariage gay, voici qu’une « nation apparemment progressiste », écrit Lopez, « peut changer d’avis ». Chez LMPT, il trouve une « stratégie pour mobiliser tous les partis », fondée sur les « puissantes critiques du mariage gay provenant des homos » – tels Philippe Arino, et le site Homovox.com. Et c’est la « tradition française des droits de l’homme », non pas l’Eglise, qui motive cette « rébellion » contre l’adoption homoparentale, la procréation médicalement assistée (PMA) et la gestation pour autrui (GPA) – « l’élevage et l’achat des enfants ».

Stratégies démographiques ? Dès janvier 2013, Brian Brown avait noté que « les leaders musulmans – une minorité assez importante en France – étaient en train d’élever leurs voix ». Le même jour, sur le même site, on pouvait lire :

« Les musulmans français rejoignent l’opposition au mariage de même sexe. »

De quoi rappeler des souvenirs. En 2012, à Seattle des organisations soutenues par NOM ont travaillé avec la communauté musulmane pour tenter de renverser le mariage gay dans l’Etat de Washignton. Par ailleurs, Brown avait le projet d’ébruiter dans les pays arabes l’engagement pro-homos de multinationales, telles que Starbucks, qui s’en trouveraient sanctionnées financièrement...

Sur son blog, Oscar Lopez affiche Farida Belghoul et des femmes voilées qui manifestent : « Des extrémistes catholiques, je ne pense pas », ponctue-t-il. Ilraconte aussi que les musulmans « traditionalistes » anglais sont « furieux » contre les mosquées de Londres, qui ont demandé « à leurs fidèles de garder le silence sur le mariage de même sexe pour ne pas fâcher les leaders du Parti travailliste ».

Cet été, au mois d’août, dans la ville universitaire de Princeton déserte, écrasée de chaleur et d’humidité, Witherspoon propose un « Islam and Marriage Seminar ». S’y retrouveront les partisans les plus conservateurs des valeurs familiales, Robert George et Ryan Anderson, avec Abdallah Adhami – controversé pour ses remarques sur l’homosexualité. Ils doivent y examiner« les rôles des musulmans aujourd’hui dans le témoignage moral public au sujet du mariage ».

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